Chronique des Widmer

Chronique des Widmer par Gérald Widmer (1958)

1958 et années antérieures

En ce temps-là, notre famille était dispersée de par le monde. Elle était nombreuse, mais sans cohésion, et ses membres s’ ignoraient les uns les autres.

A Léon Widmer revient l’ initiative du regroupement, qui s’ opéra en 1958. Ce Bernois de Sumiswald, établi à Zurich, éprouva le désir de renouer les liens familiaux avec ses parents de Suisse occidentale, et lança un appel en ce sens à Fritz Widmer, son frère. Mais qui étaient ces parents? Où étaient-ils? Il fallait se livrer à des recherches. On eut recours à un spécialiste, M.Von Lerber, héraldiste à Berne. Cet homme charmant, et dont les compétences égalaient l’ amabilité, établit l’ arbre généalogique, ou plutôt les arbres, chacune des branches du siècle dernier ayant donné naissance à un tronc vigoureux et abondamment ramifié.

Et c’ est ainsi qu’en juillet 1958 le soussigné reçut, timbrée de Venise, une lettre d’ une écriture inconnue mais sympathique. Fritz Widmer junior y annonçait une rencontre familiale à Sumiswald pour le mois de septembre. Des renseignements plus détaillés suivraient. 

Il peut paraître étonnant, après coup, qu’ on ait vécu si longtemps sans se connaître. En tout cas, d’emblée, comme si elle répondait à un besoin plus ou moins avoué, la proposition fut acceptée et les bulletins d’ inscription à la réunion de Sumiswald se couvrirent de signatures.

A Sumiswald

On y arriva de toutes parts le dimanche 14 septembre 1958. En ce qui le concerne, le soussigné avait pris chambre à Wasen avec les siens, afin d’ être à l’ heure en son lieu d’ origine et, le lendemain, il traînait sa grosse valise à un rendez-vous marqué par une affluence qui de loin attirait les regards, parmi les autocars et nombre de voitures.

A mesure qu’il approchait de l’ hôtel ZUM BAREN, il distinguait, piqués aux revers des vestons et sur les robes des dames, les signes de reconnaissance qui allaient lui révéler quantité d’ oncles et de cousins, de nièces et de tantes: c’ était, en insignes de boutonnières, les blasons de la famille, assortis du prénom du porteur et du nom s’ il s’ agissait de membres alliés ou de demoiselles Widmer ayant cessé de l’ être. L’ organisation était parfaite – il convient d’ en rendre hommage aux ci-devant nommés ainsi qu ‘à Ulysse Widmer de Courtelary – et le programme se déroula point par point avec une précision qui n’ excluait point d’heureuses surprises en hors-d ‘oeuvre. Ajoutons que la journée était magnifique et qu’ un brillant soleil de fin d’ été mettait tous les coeurs en fête.

Un culte à l’ église de Sumiswald, présidé par le pasteurVon Steiger, plaça ce premier « congrès » – nous étions plus de cent! – sous l’ invocation divine et fournit l’ occasion de bénir une famille entière. Puis Fritz Widmer senior présenta, outre les buts et les voeux des organisateurs, une étude sur le nom de famille Widmer et une revue rapide de nos ancêtres les plus remarquables.

La fanfare de Sumiswald – les choses décidément n’ étaient pas faites à moitié – nous gratifia de quelques morceaux entraînants, puis les participants se groupèrent, en différentes formations, pour les photos. Après quoi, tous se retrouvèrent dans la grande salle pour le repas, qui fut abondant, bien servi et égayé par un orchestre aux rythmes chaleureux. Relevons la présence du doyen d’ âge, Alfred Widmer, 86 ans et citons deux invités: monsieur Von Lerber et monsieur Otto Messerli, syndic de Sumiswald. Le premier nous exposa ses recherches dans les vieux registres et commenta les arbres généalogiques placardés dans la salle. Quand au second, il discourut, à l’ heure des laïus, et nous distribua, de la part de la commune, en plus de plans à l’ échelle réduite représentant un terroir d’indigénat aux dimensions dignes de la famille, une monographie sur Sumiswald et une autre sur les vitraux de son église. Générosité appréciée.

L’ après-midi se passa le mieux du monde – il était déjà largement entamé – en conversations de table à table, en stationnements sous les arbres (généalogiques s’ entend), où chacun prenait intérêt à identifier dans la salle tel parent dont il n’ avait jusque-là que vaguement entendu parler, ou qu’ après un oubli total il venait de repérer sur les arbres (généalogiques toujours!). Quelques « productions individuelles » furent entendues avec plaisir. Monsieur Held se montra d’ une drôlerie irrésistible, que les pères et mères de famille savourèrent d’ autant plus librement que mademoiselle Marie-Hélène Widmer s’ était bénévolement chargée de distraire et d’ amuser tous les enfants. Nous l’ en remercions vivement.

La dislocation survint trop tôt à notre gré: il faisait encore grand jour et l’ on était loin d’ avoir accompli un tour de salle ou un tour de parenté complet. Le succès de cette première rencontre avait prouvé surabondamment qu ‘elle pouvait très bien se renouveler, non pas chaque année peut-être, mais tous les deux ou trois ans. On n’ allait plus se trouver désormais dans l’ obligation de donner des réponses évasives, hasardeuses ou carrément fausses à ces aimables personnes qu’ on vous présente et qui s’ enquièrent en vous secouant longuement la main: « Widmer… seriez-vous parent d’un tel… vous savez… un rouquin… qui était tringlot à la deux du trois…? » Et cette journée nous avait permis de découvrir l’ ampleur de notre famille, sentiment toujours réconfortant, comme aussi de nous reconnaître nombre d’ affinités avec ces inconnus de la veille, tous les gens de bonne compagnie, dont l’ appartenance à la même race nous enrichissait d’un coup. Il avait suffi que deux ou trois prennent l’ initiative de mettre en présence ceux qu ‘unissaient les liens du sang. Nous leur en exprimons ici, une fois encore, notre très sincère gratitude.

Lausanne, le 6 octobre 1960
Gérald Widmer